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PCF Clamart
18 avril 2013

Ce projet de loi est en réalité un formidable cadeau au patronat

Sécurisation de l’emploi   Par Pierre Laurent / 17 avril 2013

 

Le texte ci-dessous est une version résumée de l’intervention prononcée.
La version définitive et intégrale sera très prochainement en ligne.

Personne dans cet hémicycle ne peut nier la gravité de la situation. Nous la constatons tous, dans nos départements, nos villes et nos familles. Le chômage atteint un pic historique. La France compte 3,2 millions de sans-emplois de catégorie A. Chaque jour, ce sont des centaines de travailleurs supplémentaires qui allongent la liste déjà insupportable du chômage. Des centaines de personnes dont la vie vacille dans la précarité, l’incertitude et la peur du lendemain. Des centaines de femmes et hommes privés d’un droit constitutionnel : celui au travail !

Car que reste-t-il mes chers collègues de l’article 21 de la déclaration universelle des droits de l’Homme qui stipule : « Toute personne a droit au travail, au libre choix de son travail, à des conditions équitables et satisfaisantes de travail et à la protection contre le chômage » ? Qu’en reste-t-il... quand le chômage dans la zone euro atteint les 12 %, que le nombre d’allocataires du RSA dépasse les 2 millions et que 22,5 % des jeunes vivent sous le seuil de pauvreté.

Ce constat, implacable, est celui de la faillite d’un système et des politiques qui le servent depuis des années.

C’est contre cette machine de destruction sociale incarnée pendant cinq ans par le Président Sarkozy que le peuple français s’est exprimé le 5 mai dernier. Le besoin de changement, de rupture avec les politiques libérales a été le terreau de la victoire du candidat Hollande. Qui peut dire le contraire, le choix de son slogan de campagne en est la preuve flagrante.

C’est en s’engageant à mener la lutte contre la finance, que la victoire s’est construite. Rappelez-vous le discours du Bourget où reprenant une fameuse citation shakespearienne, « ils ont échoué parce qu’il n’ont pas commencé par le rêve », François Hollande dressait le tableau de son projet pour la France, « celui de l’achèvement de la promesse républicaine autour de l’école, la laïcité, la dignité humaine et l’intérêt général »....

La voilà, la feuille de route pour laquelle les Français se sont majoritairement exprimés et l’exigence qui a été portée par le vote républicain au plus haut sommet de l’Etat !

Cette exigence a un nom, celui du nouveau contrat social que la gauche se doit d’établir avec les Français. Soyons clairs ! Il n’y a aucun droit à l’erreur. La crise est trop profonde et le malaise grandissant. Ne creusons pas davantage encore le fossé avec les attentes sociales du pays.

Or, où est l’intérêt général, l’aspiration à la justice sociale dans ce projet de loi dit de « sécurisation de l’emploi » ? L’intitulé même de ce texte est une manipulation grossière, à l’instar de ces publicités qui vantent les mérites des glaces lights, de la crème fraîche O % ou des 4*4 écologiques....

Rien dans ce texte n’apporte une sécurité supplémentaire aux salariés. Tout n’est que précarisation ! Ce projet de loi est en réalité un formidable cadeau au patronat. Encore un, après les dix années de bons et loyaux services de la droite ! Le vote à l’Assemblée nationale, obtenu avec une majorité relative à gauche et l’abstention bienveillante des députés UMP en a été la démonstration.

Bien sûr les défenseurs du texte mettent avant les maigres concessions octroyés dans l’accord. Mais à y regarder de plus près, ces petites avancées relèvent davantage de l’hypothèse voire de l’enfumage que d’une quelconque sécurisation.

La création d’une complémentaire santé est présentée comme une révolution majeure. Certes, elle ouvrira des droits, quoique réduits, pour les salariés (avec des prestations inférieures à celles ouvertes par la CMU complémentaire !), mais elle contribuera surtout à l’enrichissement massif des assurances privées au détriment de la sécurité sociale.

Que dire des propositions relatives à la représentation des salariés dans les conseil d’administration des grandes entreprises ?... Cela ne modifiera en rien les équilibres démocratiques, l’exercice du pouvoir, la participation des salariés à la décision ou aux choix stratégiques. Alors même que ce texte prétend faire le choix du « dialogue social » et de la négociation partenariale, l’intervention des salariés est en réalité réduite à la portion congrue.

Quant à la prétendue « taxe sur les contrats courts », que le Ministre du Travail aime à brandir, cette soit disant « concession majeure » du patronat ne figure même pas dans le texte. Il n’est mentionné, à l’article 7, qu’une éventuelle « modulation », qui ne coûtera pas un centime supplémentaire aux entreprises.

Enfin, les fameux « droits rechargeables à l’assurance chômage » n’existeront que sous réserve d’une négociation future et à la condition de ne rien coûter à l’UNEDIC. Ils ne rapporteront donc pas un centime supplémentaire aux chômeurs et pourraient même être compensés par la baisse des prestations, comme l’a demandé Mme Parisot !

Loin de protéger l’emploi, ce projet fait sauter toutes les digues du droit du travail. C’est grave pour tous les salarié-e-s ! C’est catastrophique pour tous ceux qui sont sous la pression des chantages à l’emploi ou à la fermeture de site. C’est un coup de poignard dans le dos des salariés en lutte, comme les PSA d’Aulnay qui vous crient leur colère.

Ce projet de loi, tout comme l’ANI dont il est issu, multiplie les possibilités de licencier, accélère et simplifie les plans sociaux, restreint la capacité des salariés de saisir la justice prud’homale, limite les indemnités de licenciements et diminue les délais de prescription pour les employeurs qui licencient frauduleusement. Il est à l’exact opposé de tous les marqueurs de la gauche. C’est pourquoi, à cet instant de mon intervention, je m’adresse solennellement à tous mes collègues sénateurs qui siègent à gauche de cet hémicycle. Je leur demande de bien réfléchir aux conséquences de leur vote, au message politique qu’ils envoient et à l’orientation générale qu’ils dessinent.

Êtes-vous prêts, Mesdames, Messieurs, les sénateurs de gauche à entériner la réduction des délais de prescription pour les licenciements abusifs ? Cette mesure revient à instaurer une amnistie patronale tous les trois ans. Cette proposition fait un tabac sur les rangs de l’UMP, c’est bien normal...c’est cette même droite qui s’est déchaînée contre notre proposition de loi d’amnistie sociale pour les syndicalistes en criant au laxisme et à l’impunité qui aujourd’hui applaudit des deux mains...

Comment accepter de voter le dispositif relatif aux comités d’hygiène et de sécurité et aux instances représentatives du personnel alors même qu’il est une entrave à leur bon fonctionnement ? La participation des comités d’entreprise au financement des démarches d’expertise sera en effet exigée, ce qui pèsera sur leurs budgets et réduire leur activité. Enfin, un délai est octroyé aux employeurs pour organiser les élections des représentants dans les entreprises, alors même que cette procédure ne soulève aucune difficulté particulière d’organisation.

Comment lorsqu’on se dit de gauche accepter l’accélération des plans sociaux qui seront facilités par le contournement des juges ? Ce texte prévoit en effet que si un accord interne est signé, les juges n’auront plus à vérifier le motif économique du plan de licenciements. La prétendue « autorisation administrative » nécessaire à la validation de ces plans sociaux « express » ne sera pas protectrice. Il ne s’agira que d’un visa de la DIRECCTE destiné à sécuriser juridiquement les décisions de l’employeur, exactement comme dans le cas des ruptures conventionnelles. Un visa administratif qui, en la matière, n’a pas empêché un million de suppressions d’emploi depuis 2008...

Comme prétendre que ce projet de loi est équilibré quand il instaure les contrats intermittents « super-précaires » (CDII) applicables sans accord de branche, ce qui prélude à leur généralisation alors même que ces contrats sont dévastateurs pour les conditions du travail et le salaire de ceux qui y sont assujettis. Le coup d’envoi est donné à une véritable déréglementation du travail à temps partiel. C’est une catastrophe pour les femmes, qui constituent 80% de ces contrats. En plus d’instituer un faux-plancher de 24 heures à travers lequel passeront la grande majorité des contrats, ce projet autorise 8 avenants permettant à l’employeur de modifier le nombre d’heures travaillées. Le salaire sera lissé et les délais de prévenance renégociés ; ce qui promet des conditions de travail désastreuses et une précarisation largement accrue…

Enfin, comment ne pas bondir face aux plans de mobilité forcée qui seront mis en place dans les entreprises tous les trois ans, sans aucune restriction géographique ? L’employeur pourra ainsi exiger de ses salariés qu’il parte à l’autre bout du pays sous peine de licenciement automatique. La vie des familles s’en trouvera bouleversée.

En réalité, il faut le dire, ce projet de loi entérine les accords de compétitivité-emploi qui figuraient dans le programme de Nicolas Sarkozy, le candidat battu, et qui ne figuraient pas dans le programme de François Hollande, le candidat élu. Ces accords permettront, partout où règnent la pression patronale et les chantages à l’emploi, de baisser les salaires, de modifier le temps et les conditions de travail en effaçant d’un coup de baguette magique toute la législation en vigueur. Pour les employeurs, il s’agit là de la réalisation d’un rêve éternel. Les salariés qui refuseront ces mesures dramatiques seront immédiatement licenciés, sans autre forme de procès. La hiérarchie des normes, qui permettait un « principe de faveur » (le texte le plus favorable au salarié s’applique) sera ainsi révolu.

Alors, mes chers collègues, à l’heure où vous vous apprêtez à voter ce projet de loi, remémorez-vous cette phrase de Léon Blum qui disait on est socialiste à partir du moment où l’on a cessé de dire « c’est dans l’ordre des choses et nous n’y changerons rien », à partir du moment où l’on a senti que ce soit disant ordre des choses était en contradiction flagrante avec la volonté de justice, d’égalité, de solidarité ». Oui, ce projet de loi n’est pas digne de la gauche et n’est pas à la hauteur des enjeux.

Comme dans le cas du pacte de compétitivité, vous offrez des cadeaux somptuaires au patronat sans contrepartie. Les multiples possibilités de flexibilisation que les entreprises vont s’empresser d’utiliser contre les salarié-e-s ne créeront pas un emploi supplémentaire. Au contraire, elles permettront aux entreprises d’intensifier leur grand dégraissage. Les suppressions de poste vont se multiplier pour que les groupes maintiennent leurs marges et les actionnaires leurs dividendes.

Rien ne démontre mieux le caractère contreproductif de ce texte que l’exemple de toutes ces dernières années : partout en Europe, malgré d’énormes gains de flexibilisation concédés aux employeurs, le chômage se consolide et l’économie ne retrouve nulle part un rythme soutenu et durable de créations d’emploi. L’entêtement à utiliser des recettes qui ne marchent pas est une erreur politique et économique. Un grave contre-sens !

Comme le soulignent de nombreux juristes et économistes, ce projet n’est rien d’autre que la version française de la lame de fond européenne de remise en cause radicale des droits sociaux dénoncée par la Confédération européenne des syndicats. Ainsi, l’économiste Frédéric Lordon : « L’ANI ajoute […] l’inefficacité économique à la démission politique. Les entreprises ne manquent pas de flexibilité, elles manquent de demande ! Et toutes les flexibilisations du monde n’y pourront rien. […]. Les entreprises n’étendent leurs capacités de production qu’à la condition d’anticiper une demande suffisante. On peut les laisser empiler du profit autant qu’elles le veulent : pas de demande, pas d’investissement. »

De partout, des voix s’élèvent contre une loi écrite à l’encre du MEDEF. Ce midi encore, j’étais aux côtés des manifestants qui réclament le retrait du projet de loi, une vraie sécurisation de l’emploi et exigent haut et fort un changement de cap. Ce changement de cap que le peuple de gauche attend, il peut se faire dès maintenant.

Mes chers collègues, ne vous laissez pas prendre au piège qui se joue autour de l’ANI. Pour les salariés de notre pays, pour les électeurs qui ont voté pour le changement, et même par respect pour notre Assemblée, ne ratifiez pas cet accord. Par notre vote, nous avons le pouvoir de faire taire Madame Parisot et son arrogance qui voudrait faire du Parlement une simple caisse enregistreuse de ses desiderata. Car non-contents de nous présenter un projet de loi d’une gravité extrême quant à ses conséquences sociales et économiques, il nous est en plus demandé de ne pas modifier le texte autrement qu’à la marge, et ce en procédure accélérée ! Madame Parisot a d’ores et déjà fait connaître ses exigences (je cite) : « On ne peut pas à la fois soutenir un choc de simplification et en même temps laisser les parlementaires rendre tout encore plus compliqué. » Comment peut-on adresser une telle injonction aux représentants du peuple ? Je rappelle que l’article 27 de la constitution précise que tout mandat impératif est nul. Ne laissons pas à nouveau réduire notre pouvoir législatif, déjà si largement mis en cause. Notre rôle est d’écrire la loi. Et celle que nous devrions écrire est bien différente que celle qui nous est proposée. Nous devons refuser l’inversion de la hiérarchie des normes. Car comment ne pas y voir un droit de véto pour le patronat ? Si désormais toute mesure sociale doit passer l’aval du MEDEF. Alors plus aucune conquête sociale ne sera possible ! La droite elle-même s’en est réjouie, en affirmant crânement et à juste titre que ce principe, s’il avait été en vigueur à l’époque, aurait tout simplement empêché la retraite à soixante ans et les 35 heures ! Comment peut-on soutenir un tel ligotage institutionnel des droits du Parlement ?

Nous nous y opposons fermement. A l’instar des députés du Front de gauche qui ont bataillé longuement à l’Assemblée nationale au nom d’une réelle sécurisation de l’emploi, les sénateurs du groupe CRC sont déterminés à dénoncer point par point la nocivité de ce projet de loi. Tout au long du débat, et des centaines d’amendements que nous avons déposé, nous démontrons qu’une autre politique est possible. Elle passe par de nouveaux droits économiques pour les salariés dans l’entreprise : droit de véto des représentants des salariés ; élargissement des pouvoirs des comités d’entreprise et des instances représentatives, limitation par la loi de la part de contrats précaires (CDD et intérim), droit de reprise des sites par les salariés sous forme de SCOP ; interdiction des licenciements boursiers… Elle passe aussi par la mise en place d’une véritable sécurité sociale de l’emploi et de la formation.

Mes chers collègues, l’heure est donc au choix, à celui qui imprime la marque de fabrique d’une politique et d’un quinquennat. C’est dans la fidélité à nos engagements de gauche de défendre toujours les salarié-e-s que nous abordons ce débat. En repoussant ce projet de loi de régression et en multipliant les propositions alternatives, nous voulons ouvrir des brèches avec tous ceux qui souhaitent rebattre les cartes à gauche et donner vraiment le coup d’envoi du changement. Le moment d’un tournant est venu ! Je vous remercie.

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